Magie ou technologie ? Thierry Collet, un enchanteur aux faux airs transhumanistes
SPECTACLE•Thierry Collet interprète « Que du bonheur (avec vos capteurs) » au Théâtre du Rond-PointLaure Beaudonnet
L'essentiel
- Que du bonheur (avec vos capteurs), au Théâtre du Rond-Point jusqu'au 6 novembre, explore les liens entre magie et nouvelles technologies.
- Un spectacle d'une heure qui mène le public par le bout du nez.
- 20 Minutes a rencontré le mentaliste Thierry Collet pour l'occasion.
Un peu de transhumanisme, un soupçon de hacking et beaucoup d’illusions. Thierry Collet enchante un public incrédule dans Que du bonheur (avec vos capteurs), au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 6 novembre. Difficile de repérer ce qui relève de la technologie, des tours traditionnels de magie, du détournement d’attention ou de la manipulation du langage, mais une chose est sûre, plus la représentation avance, plus les tours deviennent spectaculaires.
La mise en scène est savamment orchestrée. « Il y a une dimension du mentalisme qui s’appelle la réalité double, où tout le monde ne perçoit pas les effets de la même façon, notamment les gens qui sont sur scène et ceux qui sont dans la salle. Il faut comprendre exactement comment les cerveaux des uns et des autres fonctionnent pour créer l’illusion aux deux endroits en même temps », détaille-t-il. Et la technologie vient créer le trouble. « Je dirais que tous les coups sont permis quand on est magicien. Je donne l’impression que les choses sont vraies, mais tout est illusion », sourit-il à 20 Minutes, entre deux gorgées de son café allongé, alors que nous essayons, en vain, de lui arracher la vérité derrière ses tours.
« J’ai plutôt envie de troubler, d’éveiller l’esprit critique du public »
Sur la scène épurée du théâtre des Champs Elysées, le mentaliste, formé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, crée une atmosphère à mi-chemin entre la tradition théâtrale et celle de l’illusion pour raconter une histoire à tiroir. Le spectacle, très écrit, embarque le public dans un dialogue entre ces deux arts. Un premier tour de cartes raté (exprès), qui interroge les limites cognitives du magicien, scelle son pacte avec les nouvelles technologies. Il navigue ainsi entre la petite et la grande histoire de l’illusion, racontant sa rencontre virtuelle improbable avec Dai Vernon, un prestidigitateur canadien mort en 1992. Une anecdote authentique qui permet à Thierry Collet d’explorer le monde de l’intelligence artificielle et des chatbots qui ont le pouvoir de ressusciter les morts.
Résultat : on ne sait plus qui de l’homme ou de la machine réalise des prouesses, mais la stupéfaction s’empare de la salle. Par quel procédé le mentaliste récupère-t-il les données personnelles d’un spectateur parti boire une bière avec son téléphone en poche ? Comment son assistant Marc Rigaud parvient-il à connaître la page Wikipédia sur laquelle s’est arrêté un autre monsieur du public ? A croire qu’en toile de fond, Thierry Collet fait la leçon sur l’importance de protéger ses données personnelles. « J’ai plutôt envie de troubler, d’éveiller l’esprit critique du public. Je ne fais pas de la pédagogie », rétorque-t-il. La technologie simplifie les procédures tandis que la magie permet de raconter des histoires.
De l’apologie du transhumanisme ?
« Certaines personnes m’ont dit que je faisais de l’apologie du transhumanisme », s’étonne-t-il. Et, en effet, deux tours, qui jouent avec l’idée d’un monde réel dupliqué dans le virtuel, semblent tout droit sortis d’un épisode de Black Mirror. Un spectateur dont le visage a été scanné ressent toutes les sensations « physiques » de son double numérique. Lorsque le magicien touche le visage scanné sur l’écran, le cobaye le ressent physiquement. A-t-il été hypnotisé ? Lui a-t-on mis des capteurs invisibles sur le corps à son insu ? On ne le saura jamais. Sur le même principe, le dernier tour scanne le portefeuille d’une personne du public pour créer une copie virtuelle, également projetée sur l’écran. L’assistant magicien, en visioconférence, s’amuse à ouvrir le portefeuille virtuel. Il insère sa carte professionnelle et ôte la carte bleue. Lorsque le propriétaire inquiet récupère le portefeuille original, qui n’a pas bougé de la scène, la carte professionnelle a remplacé sa carte bancaire. Coup de flip.
Thierry Collet joue avec l’idée du double numérique qui séduit tant les technoprophètes de la Silicon Valley. Peut-on vraiment dupliquer un objet et son contenu grâce à la technologie ? Notre petit doigt nous répond « non », mais Thierry Collet ne nous révélera pas l’envers de ces deux tours. « Je fais beaucoup de veille, je vais à énormément de congrès, de conventions de magie et de hacking, et je chope les solutions technologiques avant qu’elles ne soient accessibles au grand public », explique ce magicien technophile qui n’imagine pas lâcher les nouvelles technologies de sitôt. On pourrait bien le retrouver dans dix ans avec un robot en guise d’assistant capable de lire dans les pensées du public.